Chroniques de la décompensation d’un président (2)

Première partie -> Chronique de la décompensation d’un président

3 NOVEMBRE 2020 [JOUR J]
JFD:

Trump, le Big Mac et l’électeur dans l’ombre 

L’affection profonde de Trump pour le fast-food est bien documentée et il adore se faire poser, le sourire fendu jusqu’aux oreilles, avec un seau de poulet PFK ou un savoureux Big Mac de chez McDonald.  This is America baby.     

L’électeur dans l’ombre s’est fait dire encore et encore que le Big Mac, c’est de la malbouffe et qu’il vaut mieux s’abstenir. 

Il a gouté à une alternative plus santé et il a apprécié.  Pour vrai. 

On lui a de nouveau répété qu’il faut vraiment être stupide pour manger un Big Mac.  Il a hoché la tête sans broncher. 

Si on coince cet électeur dans un coin, il va répéter que la malbouffe, ce n’est pas bon.  Il a compris le topo, ça va. 

Quand on lui a montré des preuves que le Big Mac était dommageable pour la santé, graphique à l’appui, il s’est dit que cela tombait bien car il avait lunché avec des croustilles légères et une montagne de Guacamole.  

Le lendemain soir en allant faires des courses, l’électeur dans l’ombre s’est arrêté chez McDo et s’est tapé un Big Mac et un coke diète, comme son président préféré.  Le surlendemain aussi.  Il trouve que ça lui fait du bien. 

Cet électeur dans l’ombre ressent par ailleurs une joie trépidante – disons-le une jouissance – devant la possibilité de voir les anti-Trump qui ne s’en peuvent plus de répéter que ce dernier est menteur, stupide et mauvais pour la nation, perdre la face dans l’éventualité de sa réélection.  L’électeur dans l’ombre y a pensé en souriant en votant pour lui. 

Si Trump gagne, faudra se rappeler cet électeur-mangeur-de-Big-Mac-en-hypocrite qui en avait assez de se faire donner des leçons. 

5 NOVEMBRE 2020 [J+2]
NR:

Les votes ne sont pas encore tous compilés, mais on s’attend à une courte victoire de Joe Biden.

Donald Trump ne supporte pas l’humiliation à laquelle il fait face (ses enfants ont raconté, en rigolant, comment il les poussait en ski pour être le premier arrivé et il est un tricheur notoire au golf). Comment pourrait-il perdre cette élection au profit de… Joe Biden??? Sleepy Joe ??? Impossible!!! ILS trichent!!!

Cette fois, ça y est. Des sénateurs républicains commencent à prendre officiellement leurs distances, Twitter veille au grain et intervient à chacun de ses posts mensongers, USA Today arrête la diffusion de sa conférence de presse, pour une première fois, CNN se scandalise de la conférence de presse « pathétique, insensée, dangereuse ».

Les psychiatres, psychologues, psychanalystes qui sonnent l’alarme depuis quatre ans se demandent: mais enfin! pourquoi est-ce que ça vous a pris autant de temps?

On sait que la période la plus dangereuse en contexte de violence conjugale, par exemple, est la période de rupture. S’il invoque les démons – ceux qu’il appelle les « observateurs » comme les plus belliqueux – jusqu’ici latents au cœur des États-Unis, c’est parce que Donald Trump est prêt à tout détruire plutôt qu’être seul devant son échec.

Aujourd’hui, quasi banni de Twitter, déserté par des républicains influents, alors que Steve Bannon, l’un des artisans de son succès (en instance de procès pour fraude) est banni de Youtube et de Twitter pour avoir suggéré qu’on décapite Anthony Fauci et Christopher Wray afin qu’ils servent d’exemple aux bureaucrates récalcitrants, sur le point d’être exposé en tant que « loser » aux yeux du monde entier, Donald Trump commence officiellement sa chute et menace d’entraîner les États-Unis d’Amérique avec lui.

8 NOVEMBRE 2020 [J+5]
JFD:

En pleine tourmente post-élections, Donald Trump serait en crise, on assisterait à son effondrement émotionnel.

On évoque pour appuyer ce propos les multiples poursuites en justice lancées par sa campagne depuis le 3 novembre et ses tweets incendiaires où, hargneux et mauvais perdant, il accuse à tort et à travers ses adversaires de tricheries et manigances.   

Il n’est pourtant pas du tout impensable que, contrairement à la plupart des mortels qui s’efforcent de bien se comporter en société, Trump préfère monter le volume de sa personnalité de plusieurs crans pour faire réagir ceux qu’il considère perpétuellement comme son auditoire.  Ses traits de caractères sont délibérément amplifiés et exacerbés et quand on pense qu’il ne peut aller plus loin, il en remet une autre couche.  Il est et devient, comme on dit en anglais « larger than life » 

Ce qui compte ce n’est pas le contenu, ce n’est pas le message, ce n’est pas le contenant, c’est que le contenant prenne le plus de place possible.

Parait qu’il a donné le mandat à son équipe de trouver les « preuves » les plus éclatantes qui pourraient illustrer la corruption galopante ayant entouré le comptage des votes dans certains états décisifs. Son but?  Les présenter lors d’un prochain rassemblement avec ses partisans et monter en épingle des anecdotes spécifiques qui captent l’imagination : par exemple en lisant la notice nécrologique d’un individu dont le vote aurait été enregistré comme étant démocrate.  

En attendant, il joue au golf pour une deuxième journée consécutive sur un terrain luxueux qui lui appartient. 

L’avenir dira s’il perd la carte ou non mais en attendant, sans doute, « the show must go on », son spectacle continue. 

10 NOVEMBRE 2020 [J+8]
JFD:

Donald Trump serait paranoïaque et il faut pour s’en convaincre explorer son rapport à la loi.

Nonobstant la pertinence de l’article mentionné ci-haut, force est de constater qu’il est de bon ton de traiter Donald Trump de fou (ou une variation autour ce de thème) sans le connaitre ou ne lui avoir jamais parlé, là où, habituellement, les psychiatres ou psychanalystes se gardent un certain devoir de réserve. 

Avec Trump, c’est différent.  Vraisemblablement, avec lui, tout est permis.  Il a franchi une ligne qui permet aux psys de jeter les gants avec autorité et en toute quiétude.   Ceux qui sentent le besoin de se justifier, ils ne sont pas nombreux, diront que Trump fait constamment bien pire (sans doute) qu’il représente un danger trop grand pour rester muet (une raison qui se tient), qu’il est de toute façon évident qu’ils sont vertueux et disent vrai (une moins bonne raison) ou encore que si tant d’autres l’on fait, c’est que cela est nécessairement correct et pourquoi alors se priveraient-ils d’être aussi dans la photo (une mauvaise raison). 

Les questions suivantes demeurent : qui décide quand la ligne est franchie ou non?  Selon quels critères?  Qui sera le prochain politicien à passer dans le tordeur?  Comment saura-t-on si on va trop loin?

12 NOVEMBRE 2020 [J+10]
NR:

On peut aussi retourner la question.

Le caricaturiste caricature.

Le chroniqueur chronique.

L’éditorialiste éditorialise.

Le professeur professe.

Le politologue politologise.

Le militant milite.

Tout un chacun peut exprimer son point de vue et doit se tenir prêt à être contredit par le point de vue de quelqu’un d’autre.

Dans l’agora, en vertu de quel principe le psychologue est-il le seul à devoir s’abstenir d’interpréter ce que tout le monde peut voir? Que voudrait dire « aller trop loin » en ce qui concerne la formulation d’une opinion clinique s’appuyant sur des données vérifiables?

Le pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument, veut l’adage. Les abus de l’âge d’or de la psychiatrie triomphante et de la psychanalyse sauvage ont donné, entre autres, la règle de Goldwater – qui proscrit les diagnostics publics et à distance de personnalités médiatisées, interdit que l’Association Psychiatrique Américaine (APA) a cru nécessaire récemment d’élargir à tout commentaire politique exprimé à titre professionnel.

L’objectif est de protéger la crédibilité de la profession et la confiance du public envers elle. L’adhésion à la règle est une condition sine qua non au droit d’exercice de toute profession psy.

L’élection de Donald Trump a mis en évidence le revers de la médaille: ce président a tellement besoin d’être continuellement vu qu’il offre des masses de « données brutes » infiniment plus substantielles que ce à quoi pourrait avoir accès un clinicien qui l’évaluerait en personne, d’autant plus que sa mythomanie, facilement démontrable de loin, pourrait être plus difficile à discerner en personne: à en juger par leurs sédiments dans la presse et les réseaux sociaux, ses récits affabulés peuvent être convaincants. Or, une évaluation individuelle concluante dépend de la sincérité des réponses de la personne évaluée aux questions qui lui sont posées.

La nature ayant horreur du vide, le silence des psys serait de toutes façons comblé par d’autres, à qui les règlementations déontologiques ne s’appliquent pas. Chacun peut emprunter le DSM-V à une bibliothèque près de chez lui ou simplement faire une recherche internet pour trouver les critères applicables au diagnostic de son choix.

Que voudrait dire aller trop loin, pour un psy qui commente la présidence américaine? Quel dommage réel risquerait-il de causer? Et aussi: le monde a tellement changé depuis les années 1970, le sentiment de toute-puissance dont ont pu autrefois abuser les professions psy a cédé la place au respect, même obligé, d’une déontologie sévère et parfois contraignante, notamment en ce qui a trait à la prise de parole publique. Un effet indésirable de ce retour de balancier n’est-il pas d’avoir privé la société de points de vues valables, voire importants, qui contriburaient éclairer des faits qui la concernent?

JFD:

Le psychanalyste Gustavo Dessal publiait hier un billet dévastateur à propos de Donald Trump avec, en guise d’introduction, une superposition d’une photo de Trump et d’Hitler.

L’auteur y mentionne notamment que Trump, [la traduction est libre]: a inauguré un nouveau modèle en fonction duquel la férocité du fanatisme s’étend à tous, sans discrimination, celui-ci déversant sa haine dans toutes les directions. 

Comment alors expliquer les millions de gens ayant voté pour Trump? L’auteur mentionne son incrédulité peu après les récentes élections lorsqu’il constate que Trump a obtenu 5 millions de votes de plus qu’en 2016.  L’incrédulité de Dessal apparait par ailleurs de courte durée et il poursuit en écrivant, à propos des supporteurs de Trump: (…) des millions de corps exaltés et excités par la haine s’offrent et supportent celui qui va éventuellement les détruire, dans une cérémonie grotesque où la relation érotique entre le leader et ses serviteurs est mise en scène. 

Ce n’est pas très sympathique pour les 71 millions de gens ayant voté pour Trump 

Bref, Trump est un monstre, ses partisans des « haineux » supporteurs de la cruauté.  Par association à Trump, ceux-ci semblent réduits à bien peu, des quantités négligeables.  Ils sont au mieux des idiots, au pire des corps exaltés par la haine. 

Dans l’arène du discours social, il y a dans le coin droit une caricature tandis que l’on retrouve dans le coin gauche, son opposant, l’autre caricature.  

13 NOVEMBRE 2020 [J+11]
NR:

Le « lame duck » à la tête des États-Unis ne cancane plus autant depuis sa conférence de presse du 5 novembre qui, plutôt que son chant du cygne, a été entendu un peu partout comme le croassement d’un marabout.

Fraude! Vol! Corruption systémique! Désastre! Histoires d’horreur absolue! Les superlatifs ne manquaient pas pour dire sa rage, son amertume, face aux démocrates, aux médias, aux sondeurs, à des états, à des villes, aux employés gouvernementaux… la liste de ses ennemis est de plus en plus longue.

Il n’a pas fait d’apparition publique depuis. Ça ne lui ressemble pas.

Les sources d’une correspondante à Washington auraient décrit un homme passant des heures devant la télé ou au téléphone, à la recherche de bonnes nouvelles. Elles sont rares.

Sur compte Twitter, il renie Fox News un jour, le célèbre le lendemain. La plupart de ses tweets sont assortis d’un avis indiquant qu’il s’agit potentiellement de « fake news ».

Est-il seulement encore en mesure d’écrire ses propres tweets? Le style d’écriture et le vocabulaire de plusieurs d’entre eux détonnent.

L’un des problèmes avec la reductio ad hitlerium à laquelle recourt le psychanalyste, outre de s’user à force d’utilisation à toutes les sauces, de prendre la partie pour le tout et de déshumaniser des électeurs en les réduisant à une masse de corps indifférenciés, c’est son manque d’humour. Le ridicule ne tue pas, dit-on, sauf, peut-être, si on s’appelle Donald Trump. C’est en tout cas ce que semblent avoir compris les internautes, comme en témoigne l’interprétation psychanalytique suivante:

14 NOVEMBRE 2020 [J+12]
JFD:

Un nouveau documentaire vient de faire son apparition dans le paysage médiatique aux États-Unis: The plot against de President.  On y examine le coup d’état méticuleux et délibéré perpétré par une certaine élite américaine et les médias en associant la campagne de 2016 de Donald Trump à des manigances de la Russie.  Le film est disponible gratuitement sur Amazon Prime. 

Que dit Trump sur ce documentaire dans un tweet du 14 novembre 2020? 

  1. Je suis entièrement d’accord avec l’essentiel de la prémisse présenté dans ce film mais je m’objecte à la description spécifique du rôle du FBI dans l’affaire. 
  2. J’encourage les gens à visionner ce fantastique documentaire et à prendre acte du mauvais traitement que j’ai subi de la part des médias dès mon arrivé à la présidence en 2016. 
  3. On trouve dans ce film une autre preuve de la corruption des médias et des démocrates.   
  4. Aucune des réponses précédentes. 

La réponse :  

https://twitter.com/realDonaldTrump/status/1327482020008693760

Il ne commente pas le contenu, la justesse du propos, le scandale de l’affaire, pas plus que le style du film ou sa facture esthétique.   

Il pointe le fait que le film a reçu une très bonne note de la part des spectateurs, soit des milliers de « cinq étoiles »  Il écrit en lettre majuscule avec un lien vers la page du film: « HIGHLY RATED! » 

C’est là Donald Trump en deux mots.  Un grand intellectuel il n’est pas – ce qui ne lui enlève en rien ses autres défauts. 

Suite à sa défaite qu’il ne reconnait pas encore, il semble graduellement prendre du mieux.  5 stars! 

5 décembre 2020 [J+🤔…😴]
NR:

Il a perdu. Ça devrait être terminé depuis longtemps, mais la perspective lui est tellement insupportable qu’il ne fait pratiquement plus rien d’autre que mobiliser tout ce qu’il peut pour annuler la réalité.

8 DÉCEMBRE 2020 [J+😑]
NR:

La terre continue de tourner et les humbles observateurs que nous sommes passent à autre chose. Pendant ce temps… il tient le coup.

Dr. Lance Dodes: Trump is « delusional at the core, » will live in « fantasyland till the day he dies » – Former Harvard psychiatrist on Trump’s « emptiness inside » and the deepening paranoia of his last days in power

Une réflexion sur “Chroniques de la décompensation d’un président (2)

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